Au CDN de Normandie, Comedie de Caen.
Direction et création: Millaray Lobos García
Assistanat général: Gaétan Vettier
Ce laboratoire de création fait partie des escales d'exploration autour du projet "Traduire et intérpreter" qui s'est deroulé, en parallèle et pendant 2 ans entre le Chili et la France.
Il a vu le jour grâce a l'invitation de la Comédie de Caen à mener cette aventure avec de jeunes acteurs et actrices intégrants du dispositif "Ecole des maîtres". Une présentation publique avec rencontre a eu lieu après les semaines de travail.
Présentation du Laboratoire.
Par Millaray Lobos García
Nous lisons tous le monde. Nous lisons pour comprendre et commencer à comprendre. Nous sommes tous traducteurs de notre monde intérieur et interprètes du monde extérieur. La création artistique rend peut-être plus évident ce phénomène, mais il fait oeuvre en tout être vivant. L’art -parce qu’il nous dé-familiarise et nous déplace- nous permet de voir, de redécouvrir et de nous ouvrir au monde, nous permet de sentir sous une forme toujours neuve ce lien qui nous unit et différencie les uns aux autres.
Penser le monde commun comme divers, envisager la mobilité comme une donnée et la traduction de l'autre, l'accueil de l'autre en nous comme condition de notre survie collective. Voilà des perspectives qui me semblent nécessaires aux temps qu'on vit et le rôle que peut y jouer la pratique artistique collective -et l'interprétation en particulier- me paraît digne d’attention.
Entre une mondialisation qui tend à uniformiser les sensibilités et l’émergence de nationalismes paranoïaques, ce projet aspire modestement a rendre pratique cette philosophie d’ouverture vers ce qui est différent de nous, en proposant une modalité de travail entre différents territoires. Ce projet Franco-Chilien de création théâtrale et de recherche interdisciplinaire, axé sur les notions de traduction, interprétation et déplacement travaille ainsi cette idée d'un "entre" les mondes plus riche que toute assignation fermée.
Aller vers l’autre signifie peut-être aussi être prêt à se déplacer soi même, en découvrant ainsi sa propre faculté de transformation, sa propre "traduction" par la mise en relation avec un autre. C'est pourquoi le projet contemple autant la mise en commun de personnes d'origines diverses que le partage et l'intersection des savoirs.
Pour moi -et inspirée par les travaux d'auteurs comme Yves Citton ou Barbara Cassin- traduire revient à créer de nouveaux mondes grâce au déplacement de perspective. Traduire, c’est aussi et toujours interpréter et interpréter; découvrir dans ce qui est déjà là une nouvelle vie, grâce à l'attention que nous y portions. Cet approche se place dans la continuité de mes laboratoires précédents au Chili ou en France autour de ce que j'appelle une "écologie théâtrale".
A propos du projet de création à l'origine du Laboratoire
Le projet "Traduire et Interpréter: La Réunification des deux Corées" prend appui dans le texte de Joel Pommerat, mêle des artistes de deux nationalités-deux continents et invite à d'autres complices dont la pratique diffère de la notre (philosophe, chorégraphe, jeunes comédiens) à accompagner des étapes de travail. Ce pari à plusieurs langues, est conséquence de mon propre parcours: Faire du théâtre dans les deux pays -la France et le Chili- et, entre ces deux cultures acquises à la scène, une pensée organique du phénomène interprétatif en dialogue avec d'autres savoirs et pratiques.
Le désir qui porte ce projet, est celui de prolonger d'autres expériences de création entre les pays faites auparavant et d'appliquer la notion de "échange culturelle" de la manière la plus concrète possible, au-delà du champ de la seule circulation des œuvres déjà faites. Cela veut dire: faire dialoguer des sensibilités différentes dans un travail qui les mette en relation par la pratique. Le processus de création est ainsi conçu comme un jeu d'aller-retour entre le Chili et la France, avec des étapes de recherche et de création dans les deux pays et une equipe binational.
Le point de départ étant la traduction du texte et son interprétation au théâtre, il s'ouvre aussi vers deux volets d'interprétation et de traduction: réflexion pluridisciplinaire sur la traduction (volet théorique) et réalisation de laboratoires...autant d'étapes de création d'une oeuvre en oeuvre.
Le laboratoire en question: "Traduire et interpréter à l'interface des mondes"
Si l'’équivoque et le malentendu sont une condition inhérente aux relations intimes ou politiques, ils sont aussi à l’origine de toute véritable rencontre: C'est du moins l'hypothèse de base du projet et de ce laboratoire en question: Que
l'intercompréhension humaine est possible sans renoncer a nos mondes différents et que le travail interprétatif peut nous apporter des pistes sensibles et incarnées de ces enjeux.
La portée universelle autant qu'intime du texte de Joel Pommerat sera le point de départ du travail. Amour, ruptures ou fantômes-fantasmes -formes
de la rencontre avec l’autre- semblent traduire ici autant nos petites expériences de vie que des enjeux politiques plus complexes et c'est cette particularité-là -la traduction dans le macro-monde de nos petits mondes- qui fait une matière sensible à l'exploration d es notions qui mobilisent le projet: La traduction et l’interprétation.
Ces questions, on les abordera autant par l'exercice pratique de scènes de la pièce -dans sa version française et sa traduction en espagnol du Chili- que par l'exercice de sa réflexion. Pour cela, on mettra au centre du travail une vision où l’acteur est abordé comme un créateur scénique et les phénomènes interprétatifs qui surgissent sur le plateau comme autant de formes de traduction.
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